« En selle et naviguant, de l’aube au crépuscule, sur la houle des siècles pour remonter le temps et les espaces terrestres jusqu’à leurs origines ; sur les fonds d’une mer asséchée du Tertiaire, et des îles-oasis émergeant çà et là d’un milieu vide, aride, que l’homme abhorre et nomme le désert de Gobi ; là où le vent abrase tout du règne minéral de ses souffles millénaires, et met encore à jour des ruines et des restes de civilisations et d’empires inconnus, telles d’occultes nécropoles qu’on suppose des Xiongnu, ou encore les squelettes d’hardis aventuriers et ceux de dinosaures ; dans ces contrées hostiles, infestées par les loups et qui furent les repaires de brigands et pillards du grand Tibet d’alors ; par le Gobi dzoungare, là où passèrent maintes fois et repassèrent encore, sur leurs cent mille chevaux, les armées des grands Khans et où crevèrent, usés, cent mille de leurs chameaux ; de même en traversant la solitude sans fin des sables du Zavkhan, là où il n’y a pas d’homme, pas un semblant de vie… que les saisons qui passent, puis s’éteignent à l’automne, emportées par le temps ;
par les monts du Hanghai aux vallées couleur d’or, les sommets de l’Altaï aux neiges éternelles, ces mamelles de la vie d’où coulaient, en rivières, la lumière et l’eau pure; de l’eau, de la lumière, somme toute des énergies pour étancher la soif du cycliste-voyageur, et celle de la quête de son âme pèlerine, partie à la recherche du monde des origines; puis là où en sortant du milieu désertique et de ses solitudes, cycliste imperceptible des hautes altitudes, il atteignait l’espace où l’âme honnête se hausse, à son point le plus haut, pour rejoindre le cosmos ; le cosmos d’où l’esprit ainsi que l’oeil de l’aigle, protecteurs le suivaient au long cours du voyage dont les itinéraires passaient la Taïga, ses lacs et ses forêts, ou quand il traversait, homme nain dans l’univers, l’espace géant des steppes aux océans de verts;
brûlé par le soleil et soûlé par le vent, en parcourant les cercles sphériques des horizons, allant aux origines des cycles, de leurs saisons ; jusqu’au coeur de l’hiver, sous ses neiges et ses gels, par des températures chutant à moins cinquante ou touchant, en été, la barre des plus quarante ; allié de la nature, qu’il vente, qu’il neige, qu’il pleuve, avançant sans relâche dans la boue et le sable, sur l’herbe et la rocaille, il atteignit à l’aube de la naissance du monde, tout au fond de son âme, cet illusoire extrême, qu’est le fond du soi-même, au bord d’un océan, immense, même infini, et rempli de lumière. De la clarté partout et jaillissant en gerbes de rayons aux épis floconneux et superbes, égrenés par les vents cosmiques des nébuleuses, qu’il eut cru s’époussetant de leurs étoiles radieuses. De la lumière baignant tout autant comme une onde, les espaces de la vie, de la mort, ces deux mondes qui bien qu’antagonistes, par leurs activités, béaient sur l’un sur l’autre, de leurs immensités. »
– …Nul doute que c’était là, où j’étais ébloui, qu’au temps de l’an zéro, la terre avait enfoui, la clef de ses mystères, l’unique ouvrant la porte des secrets de la vie et de ceux qui l’emportent. J’avais enfin atteint le lieu des origines….celui où le néant, la mort, la vie voisinent.
En chemin, homme heureux, j’avais fait connaissance des passagers du temps, de l’éternel voyage, hommes nomades et pasteurs conduisant leurs troupeaux en suivant dans l’espace leurs mouvements migratoires ; partagé l’amitié avec les descendants d’ethnies dont l’occident ignore même l’existence, issues d’anciens empires et de royaumes déchus, certains d’Asie Centrale comme d’autres de Sibérie, et qui trouvèrent refuge, sur les espaces immenses des terres de Mongolie; les Uriankhai-Oïrat aujourd’hui éleveurs des plateaux de l’Altaï; les Kazakhs, leurs voisins, chasseurs d’un autre temps et leurs aigles royaux; les Zakchen aux yeux bleus, les Dörvuut aux yeux verts, les Hotons dont les femmes conduisent les caravanes, comme les Öuld, les Sartul, les Baïads et Torguuts, tous rescapés, dit-on, des peuples venus de Perse ou issus de l’empire türcique de Haute Asie. Et puis dans le grand Nord aux forêts infinies, pays du permafrost, là où subsistent encore les croyances shamanistes et règnent sur les hommes les esprits de la terre, du ciel et souterrains, j’avais fraternisé durant l’hiver avec le peuple des Bouriates; suivi les migrations des Dharkats de l’Hovsgol aux grands troupeaux de yaks, et assisté aux traques automnales du grizzly, du cerf et de l’élan par les chasseurs Dukhas en taïga profonde. Dukhas? d’autres disent Tsataan, ce peuple éleveurs de rennes, cousins, j’en suis certain, des indiens d’Amériques, mais qui, à leur image, ne sont, légendes vivantes, plus que cent rescapés d’une histoire millénaire.
Toujours proche de la terre des prairies et des steppes, j’allais au rendez-vous des troupeaux de gazelles, d’antilopes saïga, et parfois surprenait, sous une lune d’aurore, les loups et les vautours
dépeçant un hémione. J’allais dans la nature, la vraie, celle dite sauvage, où les prédateurs règnent et parfois approchent l’homme pour autant qu’il adopte une conduite animale…Aussi les loups rodaient, méfiants, dans la distance, pour flairer…l’animal qu’ils jugeaient trop dangereux, quand l’ours, moins emprunté, en grizzly des montagnes, vint une nuit en curieux renifler, puis souffler son haleine dans la nuque de ce drôle d’animal…Sans avoir jamais peur, j’allais dans la nature, croisant le nez en l’air les oiseaux migrateurs; j’allais dans la nature abreuvé d’eau des lacs, et apaisais mes faims du produit de mes pêches.
Et quand la nuit venait, dormant sous les étoiles, souvent à même la terre, toujours près d’un point d’eau, je voyageais alors très loin intérieurement, un peu comme la journée, dans un espace immense où la lumière coulait progressivement plus pure, aussi pure que celle qui illuminait la steppe, au fur et à mesure qu’homme libre je m’éloignais du monde civilisé prétendu bien meilleur.
Je perdais le contact avec la société des villes de l’autre monde, ses lois, ses bruits ainsi qu’avec ses pollutions. En dépassant ses bornes j’étais redevenu rien qu’un homme, simple, vivant librement dans l’espace; un espace où le temps inventé par l’humain n’était jamais entré, que je ne comptais plus, ainsi n’existait plus; j’étais un homme sans nom, ayant tout oublié… de mon âge, de mes peines, de mes joies et souffrances ; j’étais et vivais libre en m’étant affranchi de toutes servitudes. Sans contrainte, autonome, presque en apesanteur dans le vide de l’absence, j’avais trouvé l’espace où l’homme de la nature autrefois naissait libre. Avais-je découvert, là dans le dénuement, le secret du bonheur ?
Car je n’avais besoin de rien…que de manger pour toujours avancer sans jamais reculer.
Après avoir vécu longtemps en solitaire dans ces lointains déserts, en partageant parfois, au milieu d’un nulle-part, la vie simple des nomades, je revins alors à la société, celle où je naquis et à laquelle j’appartiens. J’y entendis des mots étranges comme performance, comme exploit et record. Et bien qu’encore errant dans l’espace de l’ailleurs, je compris que j’étais de retour dans le monde où tout est mesuré, compté, évalué pour être comparé avec d’autres valeurs, livré à l’analyse, pourquoi pas critiqué et souvent mis en doute…Pas facile d’être honnête au sein des sociétés…
Ayant quitté l’espace pour entrer dans le temps, je dus admettre perdre ma réelle liberté; celle qui n’existe que là où l’espace est sans borne, ni barrière, ni limite, voire même sans horizon. Un espace où l’homme n’entre que pour le conquérir, y bâtir son empire, puis faire régner sa loi ! Un espace que bientôt il associe au temps, détruit, divise, construit pour en faire de l’argent.
Alors le jour s’allât vers un autre hémisphère; la lumière se fit moindre dans mon coeur et mon âme, avant qu’elle n’allume, reflétée des murs gris des enceintes de la ville, une lueur de tristesse aux prunelles de mes yeux.
Aventuriers, cyclistes, coureurs sur la planète, ou simples passagers du rêve de mes voyages, je voudrais par ces mots, les images de ce site, témoigner qu’il existe encore en Mongolie, un monde original, dans lequel et depuis les temps immémoriaux, des nomades vivent heureux en parfaite harmonie avec la mère-nature.
Un milieu idéal, sans pareil sur la terre, où l’espace, la lumière, l’eau et la nourriture ne coûtent rien que l’effort d’être cet homme honnête, sincère avec lui-même, qui ira sans tricher, ni esprit de conquête chercher cet idéal, pour vivre sans artifice, rien que de la nature, en puisant l’énergie aux sources de sa lumière et des fruits de ses terres.
Nul doute alors qu’après quelques années d’effort et d’interrogations pour savoir qui vous êtes d’autre qu’un être infime, ou simple particule au sein de l’univers, vous aurez retrouvé la lumière d’une âme pure au fond de votre intime, c’est à dire votre moi d’homme sincère et honnête, l’identité, la vraie que vous avait donnée votre mère, la nature, lors de votre naissance.
Bon voyage…
Marc Progin – 1999 – 2023 – n’importe où dans les espaces de la Mongolie.